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Quatre pistes pour recruter différemment

Hugues Dumas (à droite) et Fabien Vallaud, respectivement CEO et consultant de Synovivo conseillent d’aller chercher des soft skills plutôt que de l’expertise. Photo : Synovivo

Les coopératives et les négoces doivent s’adapter face à un marché de l’emploi tendu. Des changements sont donc à opérer ou s’opèrent déjà : rechercher des soft skills, déployer la marque employeur, revoir le management et s’intéresser à des profils hors de l’agriculture. Hugues Dumas et Fabien Vallaud, du cabinet de recrutement Synovivo, apportent leur vision du marché de l’emploi pour recruter différemment.

La distribution agricole connaît des difficultés de recrutement depuis plusieurs années, et bien avant la Covid-19. Aujourd’hui, il y a un nombre de candidats inférieur à l’attente du marché : ils ne sont pas assez nombreux, ils n’ont pas toujours envie de bouger et ils se posent la question : « Qu’est-ce que je veux ? » De plus en plus de candidats acceptent des baisses de salaire si le projet de l’entreprise les intéresse. « La valeur projet, quelle que soit la génération, est très importante, précise Hugues Dumas, CEO de Synovivo. De plus en plus de candidats viennent chercher du sens au projet et ce ne sont pas forcément des gens dogmatiques. Ils veulent être acteur du changement pour l’agriculture. Ils sont réellement pour la transition agroécologique. » Comment s’adapter pour les attirer ?

1 Des soft skills à rechercher

Les candidats sont peu disponibles et ils se posent des questions sur les challenges à relever. En face d’eux, il y a des employeurs qui vont chercher de l’expertise. « Il y a une attente forte de bon nombre d’employeurs à vouloir mettre l’expertise avant les soft skills, souligne Hugues Dumas. Plus on va se focaliser sur l’expertise, plus on va réduire son champ des possibles pour recruter. » Il conseille de chercher des profils qui ont des soft skills capables d’intégrer l’expertise déjà présente en interne, puis de mettre en œuvre un transfert de l’expertise.

Coopératives et négoces : chacun cherche son technico-commercial

Question offres d'emploi, le secteur du commerce est celui qui recrute le plus. Photo : AdobeStock

Depuis 2020, le nombre d’offres d’emploi dans les coop et négoces est en très nette hausse à l’Apecita. Le secteur du commerce domine le podium des métiers qui recrutent le plus, avec une prédominance des postes de technico-commerciaux. Zoom sur les statistiques du spécialiste de l’emploi en agriculture.

Négoce Ouest : communiquer auprès des jeunes et des enseignants

La délégation Ouest intervient régulièrement dans les écoles. Photo : vectorfusionart/Adobe Stock

Les négoces ont besoin de communiquer auprès des étudiants et des enseignants. C’est pourquoi le Négoce Ouest a mis en place une carte qui recense les postes d’alternants. Cette délégation de la FNA participe également aux conseils de perfectionnement de l’Esa d’Angers et du CFA Pays de la Loire.

En mars dernier, Vincent Bernard, délégué régional du Négoce Ouest, a réalisé une enquête auprès des adhérents de la délégation Ouest afin de recenser les postes d’alternants recherchés. Depuis le 1er avril 2023, une carte répertorie les 30 postes actuellement disponibles. En tant qu’alternant, comment obtenir les éléments auprès des négociants ? Voici comment cet outil a été pensé : grâce à Google Maps, les candidats ont le maximum d’informations et ils localisent facilement l’offre. Cette carte a été relayée auprès d’une centaine de contacts de la zone ouest.

Communiquer toute l'année

« Il y a assez peu d’uniformité entre les entreprises », souligne Vincent Bernard. La FNA proposera prochainement un outil qui ira plus loin : une fiche de candidature. « L’objectif est d’harmoniser la recherche d’informations pour que le rendu candidat soit complet et pour donner envie aux postulants de contacter l’entreprise », stipule-t-il.

Val de Gascogne : une formation « maison » pour faciliter les recrutements

Geoffrey Goulin, responsable communication et agriculture durable chez Val de Gascogne : « L’idée est de recruter ces alternants comme technico-commerciaux à l’issue de leur formation. » Photo : Val de Gascogne

Formation ad hoc, présence sur les réseaux sociaux, renforcement des partenariats avec les écoles du territoire… la coopérative Val de Gascogne travaille sa marque employeur sur tous les fronts.

Attirer des talents dans le Gers, notamment des technico-commerciaux ou des agents de silo : la partie n’est pas si simple pour Val de Gascogne, groupe co­opératif basé à Lombez, entre Auch et Toulouse. Face à ces difficultés de recrutement, la coopérative a monté et proposé sa propre formation de négociateur technico-commercial en alternance l’an dernier. Depuis octobre, une première promotion de quatre personnes a commencé le parcours.

« L'opération est plutôt positive »

Au programme : théorie et pratique en agronomie et technique commerciale dans l’entreprise ainsi qu’à la chambre de commerce et d’industrie du Gers. Une découverte de tous les métiers de l’entreprise et de ses filiales est aussi organisée. « L’idée est de recruter ces personnes comme technico-commerciaux, mais si après leur expérience d’autres métiers les intéressent davantage, nous sommes ouverts », explique Geoffrey Goulin, responsable communication et agriculture durable. Il est trop tôt pour tirer un bilan, mais à mi-parcours, plusieurs embauches semblent possibles. « L’opération est plutôt positive », poursuit-il, même si elle ne sera sans doute pas reconduite tous les ans, étant donné l’investissement nécessaire en temps de travail pour les salariés.

Recrutement : le CV inversé renverse la table

Sylvain Zaffaroni, cofondateur de Pour nourrir demain :  « Comme pour tout CV, les entreprises ont dû faire des choix pour ne pas mettre trop de choses. » Photo : Adobe Stock

Pour casser les codes du recrutement, des marques adhérentes de l’association Pour nourrir demain ont décidé de publier leur CV. Elles sont aujourd’hui 54, pour des dizaines de milliers de vues. Une démarche de communication qui a pour ambition d’attirer plus de talents que les processus conventionnels. L’initiative est un succès : les candidatures affluent et les compétences aussi.

Changer la donne en inversant la démarche. C’était l’objectif de l’association Pour nourrir demain lorsqu’elle a lancé le projet de CV inversé. Le principe : au lieu de publier des offres d’emploi pour recevoir les CV de candidats à un poste, l’entreprise rédige et publie son propre CV. Les candidats potentiels peuvent ensuite envoyer une candidature, soit directement à l’entreprise, soit par l’intermédiaire du site de l’association.

« La démarche séduit, parce que c’est sympa d’avoir des dates et une histoire, explique Sylvain Zaffaroni, cofondateur de Pour nourrir demain. Le CV inversé montre qui est la marque, quels intérêts elle présente et cherche à motiver les futurs collaborateurs. »

Répondre à la pénurie de main-d’œuvre

Lancée fin janvier 2023, l’opération est un succès. 54 marques ont déjà rédigé leur CV, pour un coût qui va de 1 000 à 3 000 euros hors taxe, en fonction de leur chiffre d’affaires. Chacun d’eux a déjà été vu plusieurs dizaines de milliers de fois. Arterris, Eureden Long Life, Savéol et Candia ont par exemple déjà publié le leur et d’autres entreprises en préparent actuellement.

Les 6 conseils d'Amélie Toupart, de MG Consultants, pour réussir son recrutement

Amélie Toupart, chargée de recrutement chez MG Consultants. Photo : MG Consultants

Alors que le recruteur a longtemps été en position de force, ce rapport s’est aujourd’hui équilibré, en grande partie grâce à la baisse du chômage. Dans ce contexte, les candidats deviennent plus attentifs à l’équilibre vie pro/vie perso et entendent donner du sens à leur travail. Pour les attirer vers leurs métiers, les entreprises doivent soigner leur image et leur processus de recrutement. Amélie Toupart, chargée de recrutement chez MG Consultants, propose six conseils.

1 Nommer un référent emploi

Les entreprises ne disposant pas d’un service RH dédié ont tout intérêt à nommer un référent emploi (pour toute la structure ou par secteur). Il jouera un rôle d’ambassadeur et pourra représenter l’entreprise et promouvoir ses métiers dans les différents Salons emploi et formation, dans les forums organisés par les établissements de formation, etc. Plus globalement, cette personne sera chargée de tous les sujets liés au recrutement et à l’emploi et notamment la marque employeur. Il faudra en revanche qu’elle soit bien formée sur tous ces thèmes.

2 Soigner sa communication digitale

Quand ils postulent à une offre d’emploi, les candidats veulent en savoir plus sur les valeurs de l’entreprise, sur la vie d’équipe. Pour cela, ils n’hésitent pas à consulter les réseaux sociaux. C’est pourquoi il est aujourd’hui primordial non seulement d’y être présent, mais surtout de mettre en place une vraie stratégie de communication digitale.

Diffuser seulement des offres d’emploi ne sera pas suffisant. Il faut montrer le quotidien de ses équipes. C’est ce qui intéresse le candidat !

La marque employeur, le reflet de l’interne

Notoriété, image, engagement, ADN sont les mots qui sont ressortis pour définir la marque employeur, lors d'une conférence organisée en mars 2023 par Place de la Communication. Photo : S. Bot / Média et Agriculture

La marque employeur permet de recruter des pépites et de fidéliser les talents. L’enjeu est de parler vrai, d’être le reflet de l’interne et d’écouter les collaborateurs afin d’ajuster son plan d’actions. La marque employeur allie les services ressources humaines et communication afin de faire rayonner l’entreprise, aussi bien en interne qu’en externe.

« La marque employeur, c’est le reflet de l’interne : ce sont les stratégies RH mises en place et leur communication », explique Kamel Medjabra, responsable de la marque employeur chez Decathlon, lors de la conférence « La marque employeur : graal ou chimère ? », organisée par Place de la Communication le 21 mars 2023. L’objectif de la marque employeur est de recevoir de plus en plus de candidatures.

À la Société générale, ce sont les RH qui déploient la stratégie de la marque employeur. « La marque employeur est un travail mené de concert entre les RH et le service communication, évoque Marie-Amélie Delfosse-Macarez, responsable régionale du recrutement à la Société générale. Dans un groupe comme le nôtre, entre la communication et la réalité, il faut incarner et donner la preuve. Les candidats sont dans la demande de cette preuve. » C’est pourquoi, lors de Salons, des collaborateurs participent pour parler avec les candidats. L’objectif est d’« avoir un bon reflet de l’interne, attirer le candidat qui devient un collaborateur, a envie de rester et devient un ambassadeur de sa marque », résume-t-elle.

Technico-commerciaux : devenir le partenaire des agriculteurs

Gwladys Artus, consultante  partenaire du réseau Motival : « La mission essentielle du TC est de créer de la valeur ajoutée, sécuriser et générer du revenu. Ce qui signifie que la posture doit embrasser la notion de partenariat. » Photo : Art6sens

De conseiller et prescripteur, le métier de technico-commercial évolue pour devenir un partenaire à part entière afin de mieux répondre aux attentes des agriculteurs sur le terrain.

Problème de pucerons, de septoriose ou encore de graminées résistantes… il n’est pas si loin le temps où le technico-commercial (TC) avait presque réponse à tout, l’agriculteur pouvait écouter plus ou moins religieusement, mais la boucle était rarement plus compliquée. La donne a pourtant changé, à l’instar de l’évolution des agriculteurs.

« 40 % à 60 % des agriculteurs se positionnent à raison comme des chefs d’entreprise et revendiquent l’autonomie de leur décision, explique Gwladys Artus, consultante partenaire du réseau Motival. De plus, les agriculteurs travaillent de moins en moins avec un distributeur unique, autrement dit, ils ont plusieurs partenaires, donc les parts de marché potentielles d’un technico-commercial sur le terrain sont partagées. » 

Recrutement : un manque d’attractivité du secteur agricole

Les professionnels reconnaissent aussi un manque de formation, par exemple pour le métier de magasinier ou concernant des spécificités métiers, comme le stockage du grain. Photo : Stockbusters / Adobe Stock

Depuis plusieurs années, les coopératives et les négoces rencontrent des difficultés pour recruter, notamment des postes de technico-commerciaux. Les jeunes n’ont plus forcément envie de vendre des produits phytosanitaires et les métiers ne sont pas assez connus. L’enjeu de la distribution agricole est d’être attractif en communiquant positivement sur les métiers, leurs missions et leurs différences.

Pas assez de CV reçus quand une offre d’emploi est diffusée, c’est le constat des co­opératives et des négoces. « Le vivier est tari, évoque Corinne Lelong, directrice des affaires sociales et de la formation à La Coopération agricole. Dans les candidatures reçues, les compétences ne sont pas toujours adaptées. »

Pour certains métiers, il est difficile de recruter. « Engager quelqu’un qui s’occupe du phytosanitaire, même si c’est pour le faire de façon professionnelle, c’est compliqué », constate-t-elle.

Lorca : lors des recrutements, une concurrence avec le Luxembourg

Pour recruter, Lorca mise sur plusieurs canaux : Indeed, l’Apecita, le site du groupe Lorca et les réseaux sociaux, comme l'évoquent Laura Anton (à gauche) et Virginie Pariset. Photos : Lorca

Pour faire face aux difficultés de recrutement, Lorca multiplie ses relais de communication. Le groupe utilise aussi bien les réseaux sociaux que l’Apecita pour relayer ses offres d’emploi.

Sur 2021-2022, Lorca a recruté près de 190 personnes. Le groupe rencontre des difficultés de recrutement pour certains métiers : ceux avec une spécificité agricole comme chef de silo, des postes de TC selon les zones.

« Nous sommes à proximité du Luxembourg pour certains sites, avec la possibilité de voir leur salaire doubler s’ils font quelques kilomètres de plus, évoque Laura Anton, responsable développement RH chez Lorca. Globalement, nous allons trouver pour ces postes mais cela prendra plus au moins de temps. »

« L’employeur ne donne plus le “la” »

Après la Covid-19, les personnes ont changé d’emploi : il y a eu un bon nombre de candidats en 2022. Et les mentalités ont évolué. « L’employeur ne donne plus le “la”, souligne Virginie Pariset, directrice des ressources humaines chez Lorca. Les candidats sont versatiles. Ils ont des opportunités multiples et ils sont volatiles pendant leur période d’essai. »

Recrutement : Terre Atlantique observe un manque de sérieux des candidats

Chez Terre Atlantique, des saisonniers ont décliné à plusieurs reprises une proposition de CDI. « Ils reviennent plusieurs fois mais ils préfèrent rester libres », évoque Florence Grenon. Photo : Terre Atlantique

Terre Atlantique recrute annuellement une dizaine d’emplois. Depuis ces dernières années, la coopérative rencontre des difficultés à recruter. Florence Grenon, responsable RH chez Terre Atlantique observe un manque de sérieux et de motivation des candidats.

Manque de sérieux des candidats

Ce qui est nouveau dans le recrutement, c’est le changement de comportement des candidats : « Certains postulent puis ne donnent plus de nouvelles, regrette Florence Grenon, responsable RH chez Terre Atlantique. Certains acceptent un entretien mais ils ne viennent pas. Nous les appelons et il n’y a pas de réponses. »

C’est un manque de sérieux de la part des candidats et une perte de temps pour la coopérative.